Enjeux économiques et sociaux de l’économie des plateformes avec l’Ajis

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Le 7 décembre 2017 – L’Ajpme a coorganisé avec l’association des journalistes de l’information sociale (Ajis) une table ronde sur l’ « Ubérisation » pour chercher à cerner les enjeux économiques et sociaux de l’économie des plates-formes.

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Intervenants

Olivia Montel, auteur de l’étude « L’économie des plates-formes », publié en août 2017 par la Dares, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, au Ministère du Travail

Edouard Bernasse, livreur chez Deliveroo, plate-forme de livraison de repas, et cofondateur du collectif de livreurs autonomes de Paris (CLAP)

Alexis Masse, secrétaire confédéral CFDT en charge du numérique

Jean-Jacques Arnal, fondateur de la plate-forme Stootie

 

Un phénomène en expansion difficile à cerner

« L‘économie collaborative fait partie de notre quotidien, mais elle demeure difficile à saisir pour les économistes.  Il n’existe pas de définition officielle », a rappelé Olivia Montel (Dares). D’après plusieurs études, l’économie collaborative est en forte croissance mais elle n’est pas mesurée en tant que telle par les statistiques officielles. On distingue deux types d’acteurs : les plates-formes qui se fondent sur une économie de partage, avec, à la base, le désir de créer une alternative au marché, comme Wikipedia, l’encyclopédie en ligne, et des plates-formes de biens et services marchands, dont l’objectif consiste à réaliser un profit. Ces dernières sont spécialisées dans la fonction de tiers entre producteurs et acheteurs, et participent de manière plus ou moins poussée, par exemple en fixant les prix ou en définissant des critères de qualité, même s’il y a une externalisation extrême de la production.

Un modèle de travail souhaitable ?

Olivia Montel s’est interrogée sur le modèle de travail proposé par ces plates-formes.

Les pour :  ces emplois répondent aux besoins du marché. Des études américaines ont montré que la plupart des travailleurs Uber ont fait un choix volontaire. D’après une autre étude, menée par le bureau international du travail (BIT), ces plates-formes offrent des opportunités à des personnes qui, autrement, seraient exclues du monde du travail, car incapables pour diverses raisons d’intégrer une entreprise classique.

Les contre : les plates-formes recourent à des indépendants aux horaires irréguliers, qui assument la totalité des risques liés à leur activité. Supposés se déclarer comme autoentrepreneurs, ils cotisent donc à la sécurité sociale. Pour autant, ils sont économiquement dépendants de la plate-forme pour laquelle ils travaillent, et sont à la merci d’une rupture abusive de cette relation.  C’est d’autant plus problématique que ces plates-formes sont souvent des oligopoles.

Enjeux de politique publique

Olivia Montel a rappelé certaines questions de politique publique posées par cette nouvelle économie.

  • La question de réglementer l’activité pour qu’il n’y ait pas de concurrence déloyale avec d’autres activités sans étouffer une économie qui peut apporter de la croissance. La question se pose notamment de créer un statut spécifique pour les travailleurs de ces plates-formes.
  • L’inquiétude concernant la qualité des emplois.

Pour Jean-Jacques Arnal, fondateur en 2011 de la plate-forme Stootie, « Le vrai sujet, c’est le financement de la sécurité sociale ». Stootie propose des échanges (à 99 % marchands) de services entre particuliers, bricolage, réparations…. Il s’agit selon Jean-Jacques Arnal d’« optimisation des usages des ressources existantes » avec une utilisé économique et sociale. Les particuliers qui travaillent via son site en font plutôt un complément de revenus, de l’ordre de 100 à 200 euros par mois, ce qui pose la question du seuil pour se déclarer autoentrepreneur.

Pour Edouard Bernasse, livreur chez Deliveroo et pour Alexis Masse (CFDT), un des enjeux importants de cette économie est la question de l’organisation du dialogue social au sein de ces entreprises.

Témoignages de la face sombre de l’économie collaborative

Edouard Bernasse, livreur chez Deliveroo, a présenté son expérience et l’analyse qu’il fait de cette économie. Au départ, c’est un peu par hasard qu’à l’été 2016, le jeune homme, bac +5 en poche et après un an de stage n’ayant pas débouché sur un emploi, est devenu un « travailleur dit collaboratif ». « J’avais un ami qui faisait cela en activité complémentaire, et il gagnait plutôt bien. De mon coté, j’étais au chômage. Il est toujours mieux d’avoir une activité que de ne rien faire (…). Au début, c’est l’été, il fait chaud, on gagne de l’argent, on trouve que c’est bien… Après on se rend compte qu’on fait beaucoup de kilomètres. J’ai perdu 10 kg en un mois ». Le jeune coursier déchante d’autant plus vite que sa méfiance grandit : dans les journaux, s’étale le récit de la faillite d’une autre plate-forme, Take it easy, qui a laissé ses coursiers sur le carreau…. De plus, les relations entre les coursiers et la plate-forme s’avèrent pénibles : par exemple, les coursiers bien vus accèdent avant les autres au planning où ils inscrivent leurs heures de travail sur l’application, ce qui leur procure un avantage certain. « La soi-disant flexibilité du travail est toute relative ».  Autre sujet, le manque de protection : « le métier de coursier dans Paris est dangereux. Si je tombe, je perds de l’argent car je ne suis plus payé et j’ai des frais médicaux » complète le jeune homme. Et tout cela s’inscrit dans un contexte de relations avec l’entreprise sous le signe de « l’opacité, de l’unilatéralité ». Edouard Bernasse a participé à créer le collectif CLAP (collectif des livreurs autonomes de Paris), qui réunit les coursiers pour revendiquer de meilleures conditions de travail, tenter de forcer Deliveroo à dialoguer et les pouvoirs publics à prendre en considération le sujet. Pour la suite, il travaille à la création d’une confédération nationale, et, demain, européenne, en tissant des liens avec des coursiers dans les autres pays.

Requalification en salariat peu demandée

Depuis trois ans, la CFDT a vu arriver des indépendants travaillant avec des plates-formes, et en particulier des chauffeurs VTC, et les a syndiqués, a expliqué Alexis Masse. Il a constaté des pratiques irrégulières. Par exemple, le syndicat avait prévenu Uber qu’il avait décelé une anomalie dans le dispositif d’attribution des courses aux différents chauffeurs : parmi les critères, semble-t-il, figurait le caractère plus ou moins neuf ou luxueux de la voiture pour obtenir une course, pour des chauffeurs disposant d’une notation égale de la part des clients sur l’application.  « Uber a sanctionné notre section ( syndicale ) en ralentissant les courses. Un petit facteur d’algorithme a sans doute été ajouté. Ce sont des pratiques de voyous, mais c’est indémontrable car nous n’avons pas accès à l’algorithme », a indiqué Alexis Masse. Son syndicat s’interroge sur la façon d’accompagner les travailleurs de cette nouvelle économie, se voulant indifférente au statut même si historiquement les syndicats représentent des salariés. Alexis Masse précise par ailleurs que la requalification en salariat est peu demandée par les travailleurs des plates-formes. La question semble plutôt être celle des droits quel que soit le statut du travailleur.

A.D.