Visite du Parlement européen à Strasbourg le 18 octobre 2022
Le 18 octobre 2022, une délégation de l’Ajpme a participé à une journée d’étude au Parlement européen à Strasbourg organisée avec l’institution. Les journalistes de l’association ont rencontré plusieurs députés européens et ont assisté à une partie des votes et débats dans un hémicycle réuni en session plénière.
Après avoir découvert la Commission européenne à Bruxelles en 2016 et la Banque européenne d’investissement (BEI) au Luxembourg en 2017, les journalistes de l’Ajpme ont passé une journée au Parlement européen à Strasbourg lors de la seconde session d’octobre 2022. Les fonctions principales, prérogatives et pouvoirs fondamentaux de cette institution ont été présentés à la délégation à son arrivée. Elus depuis 1979 au suffrage universel direct, les 705 députés européens des 27 états membres siègent une fois par mois pendant une semaine à Strasbourg, dans le bâtiment Louise-Weiss construit en 1999 par Architecte Studio.
Cette grande tour circulaire de 60 mètres de hauteur entourée d’une longue ellipse à deux ailes, tout en verre et transparence, se situe au confluent du canal de la Marne-au-Rhin et de l’Ill dans le quartier des institutions européennes à Strasbourg, non loin du Conseil de l’Europe et du Palais des Droits de l’Homme qui abrite la Cour européenne des droits de l’Homme.
Si la Commission européenne prend l’initiative en matière législative dans l’Union et propose les textes, le Parlement et le Conseil européens sont co-législateurs. Le Parlement européen fonctionne de manière très différente du français, la culture politique y est tout autre. Ce parlement ne dispose jamais de majorité, ce qui rend la prise de décision plus difficile, mais y règne le principe du compromis permanent, loin de l’opposition partisane quasi systématique. Les députés de différents partis travaillent ensemble sur les dossiers. Ils se partagent les 14 vice-présidences, les rôles de coordinateurs et rapporteurs au sein des 20 commissions, 3 sous commissions, 2 commissions spéciales et une commission d’enquête, et les rôles de questeurs. Roberta Metsola (groupe du Parti populaire européen, PPE) est l’actuelle présidente du Parlement européen. Depuis les dernières élections européennes de 2019, la France compte 79 députés européens, contre 96 pour l’Allemagne et 76 pour l’Italie.
Sur les 79 députés français, 8 appartiennent au groupe PPE et 6 au groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D), les deux plus grands groupes du parlement européen. 24 se trouvent dans le groupe Renew Europe, 12 chez Les Verts et 6 dans le groupe La Gauche. La France a également élu 19 députés Identité et démocratie (extrême droite), et 4 sont non-inscrits.
Environ 6000 personnes fonctionnaires ou contractuels travaillent au Parlement européen, parmi lesquels 1150 traducteurs pour les 24 langues officielles et 552 combinaisons possibles de langues !
Les journalistes de l’Ajpme ont rencontré le député européen Claude Gruffat (Groupe des Verts), membre de la commission des affaires économiques et monétaire (ECON), élu depuis 2019 après avoir été président de Biocoop.
Alors que « l’introduction d’une taxe sur les bénéfices exceptionnels » a fait parti des « conséquences socioéconomiques de la guerre en Ukraine » à l’ordre du jour des débats de la session plénière du 17 au 20 octobre, Claude Gruffat a exposé ses positions en matière de fiscalité. « Les superprofits sont une richesse opportune qui peut prendre des proportions considérables. La justice fiscale est un sujet que le politique doit gérer, la question de la fiscalité devrait devenir un sujet européen. Les Etats veulent que cela reste traité à l’unanimité, mais c’est une question de volonté politique », assure le député, selon qui tarder à taxer les superprofits présente aujourd’hui un risque de crise sociale. Si l’OCDE peine à faire admettre sa proposition de taxer les entreprises à 15% au niveau mondial aujourd’hui, Claude Gruffat a rappelé qu’après 1945, les entreprises étaient taxées à 50 % en France mais aussi en Angleterre, et que « cela avait été un système de financement de l’économie au sens global ».
Le député déplore par ailleurs l’écart actuel en France entre les PME taxées à 25 % et les grandes entreprises taxées entre 4 et 9 % tout au plus. « Il y a une concurrence fiscale déloyale entre les PME et les multinationales, et ces PME ont ainsi moins de capacité de réinvestissement alors qu’elles ont une activité sur les territoires », analyse-t-il. Alors que 98% des entreprises sont des PME (de moins de 250 salariés) en Europe, la situation de concentration et de dépendance dans certains secteurs est très préjudiciable selon lui. L’énergie par exemple se trouve concentrée dans quelques très grands groupes. Face à la flambée des prix dans ce secteur, « Il faut vraiment mettre en place un bouclier du prix de l’énergie », affirme Claude Gruffat. « Depuis 20 ans, il faut privilégier les énergies renouvelables et les répartir sur les territoires. Ces énergies, l’eau, le vent, ne sont dépendantes de personne », rappelle le membre du groupe des Verts.
Autre conséquence de la guerre de la Russie contre l’Ukraine : l’accès aux marchandises alimentaires, alors que les prix ont flambé et que les stocks se vident. « Les stocks de matière première alimentaire en Europe ne sont pas gérés de manière publique, il n’y a pas de stock stratégique en place. Or nous sommes en capacité de réguler, de refaire ce que l’on a fait il y a des années. Avoir des stocks stratégiques publics aiderait à réguler un prix du marché pour que l’économie européenne puisse vivre décemment », affirme Claude Gruffat.
Le député a enfin mentionné l’accompagnement des PME et les fonds d’investissement expérimentés dans la crise post-Covid : il considère comme impératif de se demander comment rendre accessibles de manière rapide et efficaces ces aides pour les PME. Cela pourrait passer par des banques publiques comme la Banque publique d’investissement (BPI) en France. Il regrette que les aides versées aux entreprises en France depuis 2017 (20 à 50 milliards d’euros par an) l’aient été sans contreparties, en termes d’emploi notamment.
Les journalistes de l’Ajpme ont ensuite assisté, depuis la tribune de la presse, à des votes à l’ordre du jour dans un hémicycle quasiment plein, qui s’est ensuite en grande parti vidé pour les débats en cours, sur le budget 2023 du Parlement européen notamment.
Puis le groupe a déjeuné avec deux députées européennes françaises qui appartiennent à deux groupes différents mais travaillent sur des dossiers communs. « Ici nous fonctionnons en coalition, avec un négociateur par groupe, c’est très différent de l’assemblée nationale en France », ont-elles rappelé. Leila Chaibi (groupe de La Gauche), vice-présidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales (EMPL) et Sylvie Brunet (Renew), également membre de cette commission, travaillent ainsi sur le dossier des travailleurs des plateformes numériques. Sylvie Brunet a signé un rapport sur le sujet qui a servi de point de départ à un texte actuellement au stade des négociations en commission. Le texte devrait figurer dans une Directive qui aura deux ans pour aboutir. « Le point de départ c’était de lutter contre les faux travailleurs indépendants, qui sont une réalité en Europe. Car il y a parfois « une présomption de relation de travail » comme on dit dans le jargon européen. L’idée est de renverser la charge de la preuve, que ce soit à plateforme de démontrer que la personne est vraiment indépendante », a indiqué la député Renew. « La négociation porte sur ce que l’on met dans la présomption de salariat. Il y a deux positions qui s’affrontent », a indiqué Leila Chaibi, rappelant que le gouvernement français faisait partie des opposants à la présomption de salariat.
Autre sujet sur lequel les deux députées travaillent ensemble, le salaire minimum européen (SME). « Il y a des choses qui ne doivent pas relever du marché si on ne veut pas que l’extrême droite prenne le pouvoir ici aux prochaines élections », a affirmé Leila Chaibi au sujet de la nécessité d’introduire davantage de mesures de droit social en Europe face aux crises actuelles.
Les journalistes de l’Ajpme ont ensuite échangé avec Anne-Camille Beckelynck, journaliste aux Dernières nouvelles d’Alsace (DNA) qui leur a donné un aperçu des particularités du travail d’une journaliste qui couvre le Parlement européen et le Conseil de l’Europe pour une rédaction de presse quotidienne nationale.
La députée Renew Stéphanie Yon-Courtin, vice-présidente de la commission des affaires économiques et monétaires (ECON), a ensuite échangé avec la délégation Ajpme au sujet de la politique de concurrence en Europe. « Nous commençons à faire en sorte que les politiques commerciale, de concurrence, et industrielle, s’articulent, a affirmé la députée. La politique de la concurrence n’a pas terminé sa mue, il faut continuer à la redéployer avec une approche plus dynamique et encrée dans le réel ». Elle s’est félicitée de ce que les politiques industrielle et de concurrence se conçoivent désormais moins en opposition les unes des autres, depuis les nouvelles feuilles de route de 2019 des deux commissaires européens Thierry Breton au marché intérieur et Margrethe Vestager à l’Europe numérique et à la concurrence.
« Il y a un nouveau cadre de la concurrence favorable aux PME, avec une réduction de la dépendance, et une vraie prise en compte des PME », s’est également félicité Stéphanie Yon-Courtin. La députée Renew a également expliqué avoir été rapporteur du Digital Market Act (DMA), la législation sur les marchés numériques, adoptée en trilogue (réunion tripartite entre des représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission) en juillet dernier. Cette législation doit encadrer les activités économiques des plus grandes plateformes du numérique, leur fixer des obligations et interdictions. « C’est la fin de l’autorégulation dans le domaine du numérique », se réjouit Stéphanie Yon-Courtin. « Il s’agit de trouver comment faire en sorte que nos entreprises européennes puissent aller prendre des marchés », résume celle qui aimerait voir émerger des champions européens dans les nouvelles technologies.
François-Xavier Bellamy (PPE), membre de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie (ITRE) et de celle de la pêche (PECH) et chef de la délégation française du PPE, a ensuite évoqué devant la délégation de l’Ajpme sa perception de la nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe. « Le fait que l’on parle de stratégie industrielle est le signe d’un changement majeur d’état d’esprit et de vision que l’Europe a de son rôle. Le rôle des institutions européennes était de faire fonctionner le marché unique et d’éviter les distorsions de concurrence. Or l’idée de stratégie implique que les institutions publiques vont s’engager, ce qui marque une forme de rupture avec le fonctionnement du passé », estime-t-il. « L’idée de l’Europe était de créer des interdépendances commerciales entre les pays européens pour garantir la paix après des siècles de guerre », a-t-il ajouté, citant l’ouvrage de Francis Fukuyama, la Fin de l’Histoire, paru en 1992, dont la thèse était que la fin de la guerre froide signifiait la victoire planétaire de la démocratie et du libéralisme.
« Ce qui nous a sorti de cette myopie européenne, ce sont les tensions créées par les luttes politiques européennes, les tensions sociales, et la découverte de notre vulnérabilité sur certains secteurs. Cela a été la grande révélation du Covid : l’autonomie stratégique dans des filières critiques est utile dans la résilience des sociétés européennes face aux crises. Enfin, la guerre en Ukraine nous montre que ce n’est pas parce que l’on commerce avec un pays qu’on ne va pas se faire la guerre. Les interdépendances commerciales ne sont pas symétriques, on s’est rendu compte de cette évidence », a admis François-Xavier Bellamy. Des « lieux de stratégie industrielle » se multiplient désormais, dans les domaines de la défense, des matières premières critiques comme les semi-conducteurs, l’énergie, la santé…
Le député a ensuite évoqué la position du PPE selon lequel l’Europe aurait aujourd’hui besoin de moins de régulation et de plus de stratégie commune, d’un engagement commun sur les questions d’énergie par exemple. Ce parti appelle de ses vœux un moratoire sur la réglementation. « L’idée de moratoire législatif plait aux patrons de PME. Dans la période actuelle il faut conserver un minimum de stabilité législative. Or depuis trois ans nous avons créé énormément de réglementation après que la Commission Juncker a réduit le poids des normes. A cause du Green Deal, nous sommes repartis dans une période d’inflation normative forte, ainsi qu’avec l’impact de la crise du Covid et de la guerre en Ukraine, de l’explosion des prix de l’énergie et des tensions sociales ». Le PPE estime malgré tout qu’il faut mettre en pause la création de normes, même sur un sujet comme la directive sur l’isolement des bâtiments par exemple, estimant que les financements adéquats n’existent pas pour financer les objectifs en la matière. Le député a argué que l’Europe ne représente que 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Pour terminer la journée, les journalistes de l’Ajpme ont rencontré Raffaella De Martre, cheffe de l’unité des Services aux médias de la direction générale du Parlement européen, qui a fait le tour des priorités législatives actuelles du parlement et est revenue sur le fonctionnement des institutions européennes. « Cette semaine il y a beaucoup de débats prévus mais pas de grands votes. 200 journalistes étaient accrédités, dans la moyenne de ce qui se passe pour chaque session plénière », a-t-elle précisé.
Laure Bergala