À la découverte du patrimoine et de l’histoire de La Samaritaine

Le 17 janvier 2025, l’AJPME a convié ses adhérents, journalistes et partenaires, à la découverte de la Samaritaine, ré-ouverte en 2021 après une rénovation en profondeur. Voici quelques aperçus de cette visite richement détaillée, qui a permis d’admirer toutes les beautés architecturales de l’ensemble et d’en comprendre l’histoire…
L’aventure de la Samaritaine commence en 1870, dans l’une des alcôves du Pont Neuf, alors l’une des artères les plus passantes de Paris. Le futur fondateur du magasin, Ernest Cognacq, y vend des tissus sous un large parasol rouge. Bon commerçant et ambitieux, il installe bientôt sa première boutique dans l’arrière salle d’un café à proximité. Ensuite, il rachètera l’immeuble ainsi que des bâtiments adjacents, pour constituer les deux premiers magasins de l’îlot Samaritaine. Ses successeurs, et notamment son petit-neveu, Gabriel Cognacq, agrandiront ce dernier avec le rachat, dans les années 1930, de deux autres immeubles. La Samaritaine devient alors un des plus grands magasins de Paris. Son développement se poursuit jusque dans les années 1970, mais ensuite La Samaritaine connaîtra un long déclin qui aboutira tout d’abord à la location de deux des quatre immeubles à d’autres enseignes, puis à une prise de participation majoritaire en 2001 par le groupe LVMH, et enfin, à son rachat total en 2010. La rénovation engagée en 2005 s’étalera sur 16 ans. La Samaritaine rouvre en 2021, après 750 millions d’euros de travaux, quelques polémiques et une pandémie. La suite en images, du rez-de-chaussée au 5ème étage…

Le café dans lequel Ernest Cognacq a installé autrefois sa boutique reste encore aujourd’hui consacré à la restauration avec l’installation en 2021 d’un salon de thé. Mais l’immeuble dont il fait partie a été loué à une autre enseigne.
Un bâtiment, trois époques

L’îlot immobilier qu’occupe le magasin de La Samaritaine, compris entre le quai du Louvre et la rue de Rivoli, témoigne de trois époques.
La première correspond aux bâtiments les plus anciens conçus par l’architecte Frantz Jourdain entre 1906 et 1910 dans le style Art Nouveau et une architecture de type Eiffel fondée sur une charpente métallique en acier riveté. Cet ensemble est agrandi au début des années 1920 par une extension sur le quai du Louvre, côté Seine, réalisée par l’architecte Henri Sauvage dans un style Art déco. Cette partie est aujourd’hui dévolue à un hôtel de luxe à l’exception du rez-de-chaussée occupé par un concept store, la Boutique de Lou, un clin d’œil à Marie-Louise Jaÿ, l’épouse d’Ernest Cognacq. Celle-ci accompagnera et aidera son mari dans la conception et le développement du grand magasin.
La façade des bâtiments Art nouveau comprend de nombreux panneaux de lave émaillée, très colorées, portant le nom des départements du magasin : Travail, Chasse, Uniforme, Amazone (matériel d’équitation)… Mais jugés trop voyants dans l’environnement parisien, ils ont par la suite été peints en blanc. De même, deux tourelles qui bordaient initialement le bâtiment Art nouveau côté Seine ont été détruites lors de l’agrandissement du magasin par Henri Sauvage, avec la bénédiction des autorités parisiennes qui souhaitaient plus de sobriété architecturale. La restauration de ces panneaux de lave émaillée a nécessité de les décrocher un par un pour les nettoyer ou les refaire. Ce procédé n’étant plus utilisé aujourd’hui, il a fallu chercher à la fois le matériau d’origine, la lave, dans les endroits ad hoc, et les artisans capables de restituer cette technique.

Enfin le bâtiment donnant sur la rue de Rivoli, dans un style plus classique d’immeuble parisien, a été démoli lors de la rénovation récente, non sans contestations et recours juridiques de la part d’associations de défense du patrimoine, avant que le Conseil d’État ne valide finalement l’opération. C’est l’agence d’architecture japonaise Sanaa qui est intervenue sur cette partie la plus moderne de l’ensemble, réalisant la façade en verre sur la rue de Rivoli, surnommée « la vague ».
Dans le détail….
L’escalier de la Samaritaine, situé dans la partie Art nouveau au centre du magasin, a été conçu comme un « escalier spectacle » : il s’agit de voir ce qui se passe dans le magasin, mais aussi d’être vu ! L’escalier compte plus de 270 marches du rez-de-chaussée au 5ème étage, et contrairement aux autres grands magasins parisiens, il n’a pas été détruit pour faire place à des escalators. Ceux-ci sont astucieusement camouflés derrière l’escalier monumental. Pour restaurer ce dernier, il a fallu retailler toutes les marches une à une, chacune ayant un format différent.

La rénovation menée au sein du magasin a permis de redécouvrir de belles plaques de grès émaillées au motif Art nouveau de l’artiste Alexandre Bigot qui ornent les plafonds des paliers de l’escalier.

Si la rénovation a principalement cherché à restaurer fidèlement les bâtiments historiques, quelques touches de modernité ont été apportées comme des luminaires asymétriques baptisés les « clouds » (les « nuages »), conçus par un maître verrier parisien.

Dans les ferronneries des garde-corps de l’escalier et des étages, se retrouvent les lignes « coup de fouet » emblématiques de l’Art nouveau et 600 feuilles de châtaignier qui ont été redécorées à la feuille d’or.

Au rez-de-chaussée, le sol, jusqu’alors couvert de linoléum, a été refait en dalles de terrazzo, agglomérat de pierres naturelles et de ciment, incrustées de rectangles de marbre de Carrare, chacun découpé à la main, dont la couleur grise évoque celle des pavés parisiens.

Autre exemple de réaménagement des sols, le mélange de céramiques incluant des éléments de métal pour créer comme un chemin à suivre, rappel des sols des galeries et passages couverts parisiens, et de parquets en points de Hongrie, rappel des appartements parisiens.

Des éléments décoratifs ont été apposées sur la structure métallique rivetée du bâtiment : des trompe-l’œil… en plâtre.
Vers la modernité
Le bâtiment dont la façade donne sur la rue de Rivoli, reconstruit, est la partie moderne de l’ensemble. L’aménagement a été conçu dans un style épuré. Il comporte un jardin d’hiver qui crée un large puits de lumière naturelle. Le jardin est planté de ginkgo bilobas, des arbres particulièrement résistants et sacrés au Japon car ils ont survécu à la bombe atomique. Les arbres ont grandi pendant 10 ans dans une pépinière allemande avant d’être transplantés à la Samaritaine.

Ce bâtiment, outre les surfaces de vente, intègre des bureaux, mais aussi 96 logements sociaux et une crèche, propriété de Paris Habitat. Si ces aménagements ont été réalisés à demande de la mairie de Paris dans le cadre de la réhabilitation, ils résonnent aussi avec l’histoire de la Samaritaine : Ernest Cognacq et sa femme Marie-Louise Jaÿ avaient développé des œuvres sociales dont des habitations à bon marché…
Tout en haut…

Au dernier étage du magasin, la fresque au paon réalisée par Francis Jourdain, fils de l’architecte, se déploie sur les quatre murs du bâtiment. Comme les plaques de lave émaillée, elle avait été recouverte de peinture blanche et a dû être décrochée et restaurée panneaux par panneaux. La frise qui la sous-tend avait disparu et a été reconstituée d’après des documents d’époque. Elle est notamment composée de médaillons en trompe l’œil, en réalité des panneaux de stuc peints.
Cette fresque, qui couvre pas moins de de 424 mètres carrés, était destinée à attirer l’œil des clientes et des clients dès le rez-de-chaussée pour les inciter à gravir les 5 étages du magasin et découvrir toute la variété des marchandises disponibles.
Le sol du dernier étage est constitué de pavés de verre, pour rappeler qu’à l’origine les sols de tous les étages du magasin étaient faits de dalles de verre fabriqués par Saint-Gobain. Celles-ci permettaient de diffuser la lumière naturelle issue de la verrière faitière dans tout le bâtiment. La mise aux normes de ce dernier n’a pas permis de les conserver, mais l’agence Sanaa s’en est inspirée pour le dernier étage : trois couches de verre ont été posées sur une chape de béton, séparées de cette dernière par une feuille d’élastomère couleur champagne destinée à amortir les chocs.

La visite s’est achevée par un déjeuner au restaurant Voyage du 5ème étage de La Samaritaine, face à la fresque au paon et sous la grande verrière restaurée avec des plaques de verre électrochrome qui filtrent la lumière et la chaleur en fonction des saisons : blancs en hiver, les carreaux deviennent bleus en été.
Environ 280 entreprises et artisans et 3000 personnes sont intervenus sur ce vaste chantier de restauration.
Elisabeth Coulomb