Journée de découverte de l’écosystème économique du réemploi
La filière réemploi porte de forts enjeux écologiques pour réduire la production de déchets et encourager une consommation plus responsable. L’AJPME a organisé le 14 novembre 2024 en partenariat avec le réseau Vrac et Réemploi une journée de découverte de cette filière dans la grande distribution. Elle a permis d’en rencontrer les acteurs et d’en mesurer le développement.

La filière du réemploi dans la grande distribution est une boucle qui commence et finit en magasin. Les visites de cette journée de découverte ont donc débuté dans les allées de l’immense hypermarché Carrefour de Montesson, qui a lancé depuis 2019 une offre de produits proposés en emballages consignés ou réutilisables par les clients. « Nous avons dans un premier temps regroupé les produits en réemploi en un point unique, dans des armoires dédiées à la consigne, dans le but d’éduquer nos clients à cette pratique, avant de les repositionner au bout d’un an dans les rayons ad hoc », explique Bertrand Swiderski, directeur RSE chez Carrefour.

Désormais les clients peuvent acheter la lessive Ekovrac dans des bidons consignés ou réutilisables en les remplissant aux containers qui proposent trois types de lessive ; ils trouvent des bouteilles de Coca Cola, Schweppes ou Orangina consignés au rayon des boissons, ou des pots de Nutella consignés au rayon pâtes à tartiner.

Le réemploi est aussi présent dans des magasins de proximité de plus petite taille comme ceux de la chaîne Biocoop. La supérette Canal la Villette dans le nord de Paris, dernière visite de la journée, propose en réemploi des jus de fruit de la marque de l’enseigne, du vin, des produits d’épiceries et des produits humides.
Autre forme de distribution, Juliette Poiret, co-fondatrice de La Tournée, est venue au cours de la journée présenter son concept de supermarché en ligne développé depuis trois ans en Ile-de-France, dont les denrées sont présentées dans des contenants consignables ou réutilisables, livrés et récupérés à domicile.
Une étape organisée dans les locaux parisiens d’Ekimetrics acteur de la data science et de l’IA, a enfin permis de découvrir l’offre de réemploi de la start-up Noww dans la restauration collective. Les 150 salariés d’Ekimetrics n’ont pas de restaurant d’entreprise, mais ont à disposition des kits comprenant un tot bag et un contenant réutilisable, grâce auxquels « ils peuvent acheter des plats à emporter dans les restaurants du quartier, les consommer dans l’espace repas installé dans les locaux d’Ekimetrics, en déposant ensuite le contenant dans nos bornes de récupération », explique Catherine Rouanet, co-fondatrice de Noww.

Gestion des contenants et traçabilité
En matière de réemploi, la gestion des contenants est essentielle. Les contenants en verre et en PET peuvent être réutilisés respectivement une trentaine et une quinzaine de fois. « Il incombe aux fabricants des produits proposés dans des contenants en réemploi de gérer la durée de vie de ces derniers », explique Romain Zanna-Bellegarde, commercial director & Head of Loop France, qui aide les industriels à concevoir des contenants et dans la mise en œuvre du modèle économique du réemploi.
Les fabricants se sont donc équipés de mireuses, pour détecter les micro-fissures du verre ou d’autres outils pour repérer les déformations du PET et savoir à quel moment il leur faudra écarter un emballage trop usé. En outre, « il faut concevoir un packaging et un marketing différents des produits à usage unique, souligne Alexis Dusanter, co-fondateur de Bocoloco, pour que les produits consignés ou en réemploi soient bien identifiés par les consommateurs ».
La récupération des contenants consignés a donné lieu à la conception de containers innovants, vendus ou loués aux distributeurs. The Keepers a développé et installé depuis six mois dans l’hypermarché Carrefour de Montesson une borne de récupération connectée intégrant une intelligence artificielle qui lui permet « d’identifier et d’accepter tous types d’emballages, quelle que soit leur forme ou leur matière, souligne François Jaubert, CEO de The Keepers. Le remboursement de la consigne est proposé en créditant une carte bancaire, sous forme de bons d’achat dans le magasin, ou en don à une association ». Le collecteur de Noww installé chez Ekimetrics gère de la même façon la récupération des contenants et le remboursement de la consigne sur un badge d’entreprise, une carte bancaire ou en bons d’achat.

Les contenants récupérés vont ensuite circuler pour être lavés, puis restitués aux fabricants des produits. Cette étape pose la question de la traçabilité des contenants. Dans le Carrefour de Montesson, elle est prise en charge par Loop qui organise la collecte des emballages stockés dans la borne de The Keepers, et grâce à un code barre, leur tri et leur dispatching entre unités de lavage ou retour vers les fabricants. « Nous gérons parallèlement les flux financiers correspondants, pour rendre ou facturer les consignes aux intervenants concernés», ajoute Romain Zanna-Bellegarde. Bocoloco gère la circulation des contenants consignés de Biocoop avec une solution de traçabilité qui permet de les « ramener dans les magasins de n’importe quelle enseigne gérée par Bocoloco », explique Alexis Dusanter, même si aujourd’hui le « multi magasins » reste peu pratiqué. En restauration collective, « notre solution de traçabilité peut s’interfacer avec des systèmes informatiques internes sécurisés, comme ceux du Ministre de l’Intérieur, de l’Assemblée nationale ou de centres hospitaliers », souligne Catherine Rouanet.
Le lavage des contenants ou l’enjeu de l’hygiène
Le lavage des contenants peut être assuré par les fabricants eux-mêmes ou sous-traités. Loop s’appuie ainsi sur un réseau d’une soixantaine de laveurs, comme Aquarys, rencontrée par l’AJPME dans ses locaux installés dans les sous-sols de la Défense. L’entreprise a investi dans deux chaines de lavage, l’une pour les contenants les plus courants, l’autre dédié aux contenants plus spécifiques utilisés notamment en cosmétique. « Bien qu’il n’existe aujourd’hui aucun cadre réglementaire en la matière, Aquarys a décidé d’appliquer les normes en vigueur à la fois dans l’industrie agro-alimentaire et dans la restauration rapide », précise Anne-Sophie Colin, directrice d’exploitation du groupe Trio Greenwishes, dont Aquarys est une filiale.
L’hygiène est de fait un enjeu important de la filière réemploi, qu’il s’agisse de contenants consignés ou ré-utilisés directement par les clients. Dans ce dernier cas, « la loi AGEC (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, votée en février 2020) en fait porter la responsabilité au client, le vendeur se contentant de faire un contrôle visuel pour s’assurer que le contenant est propre et adapté aux produits vendus », souligne Patrick Bariol, directeur général de Leko, éco-organisme agréé par l’Etat pour la modernisation de la filière des emballages ménagers en France.

Premiers résultats
La filière du réemploi affiche aujourd’hui ses premiers résultats. Dans le groupe Carrefour, le chiffre d’affaires du vrac et des produits consignés atteint 256 millions d’euros par an pour un objectif fixé à 300 millions d’euros. 300 magasins sont équipés d’un système de consigne (automatisés ou non) pour un objectif de 500 magasins en 2026. La Tournée réalise un chiffre d’affaires de 4,5 millions d’euros par an avec environ 10 000 clients et un panier moyen de 65 euros. « Selon le baromètre défini par Deloitte, 13 millions d’emballages ont été collectés et lavés en France en 2023, et 9 000 à 10 000 emplois créés dans la filière du vrac, souligne Célia Rennesson, directrice générale de Réseau Vrac et Réemploi. Mais selon le bilan annuel du réemploi des emballages ménagers de l’ADEME portant sur les données déclarées en 2023, le taux de réemploi des emballages ménagers mis sur le marché en 2023 est limité à 1,1 %, dont les deux tiers réalisés sur la disparition des sacs plastiques en caisse. »
Développer la filière
Le réemploi ne constitue pas encore une pratique largement diffusée dans la distribution et beaucoup de ses acteurs n’ont pas encore atteint leur rentabilité. Aquarys a investi 900 000 d’euros pour se lancer, et évalue son seuil de rentabilité à un chiffre d’affaires annuel de 600 000 euros, pour 340 000 euros réalisés en 2024. Comment parvenir à développer la filière à grande ampleur et accroître le nombre de clients ? « Il faut que le coût du réemploi devienne inférieur à celui de l’usage unique, c’est l’équation de base pour convaincre les clients », explique Anne-Sophie Colin. En prenant l’exemple d’un bol pour les salades, « le coût de l’usage unique atteint 26 cents, alors que le coût du réemploi est évalué à 48 cents », calcule cette dernière, qui estime que « des aides de l’état sont nécessaires pour accompagner cette transition ».
Il faut notamment définir un cadre réglementaire plus rigoureux pour imposer la transition des emballages à usage unique vers le réemploi. La loi AGEC en a fixé de premières lignes directrices, mais en l’absence de sanctions contraignantes, elle reste encore peu appliquée. En outre, un projet de règlement européen PPWR (Packaging and Packaging Waste Regulation) sur les emballages et les déchets d’emballage est en cours d’élaboration et la crainte de la non compatibilité des deux textes crée une certaine inertie des acteurs, qui attendant d’être définitivement fixés sur leurs obligations pour se conformer. Enfin, des efforts de communication devront accompagner ces transformations pour informer et convaincre les consommateurs, dont le parcours client reste aujourd’hui majoritairement fondé sur l’usage unique.

Pour l’heure, les acteurs pionniers de cette filière continuent à se mobiliser. Ainsi, Citeo (entreprise à mission créée par les entreprises du secteur de la grande consommation et de la distribution pour réduire l’impact environnemental de leurs emballages et papiers) lancera mi-2025 un vaste projet d’activation du réemploi dans quatre régions, la Bretagne, les Pays de Loire, la Normandie et les Hauts-de-France. Et les acteurs de la filière espèrent que cette initiative de grande ampleur permettra de franchir une étape significative dans le déploiement et la massification de la filière.
Elisabeth Coulomb