Financer la transformation numérique des PME

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17 novembre 2017 – L’AJPME a organisé une table ronde sur les solutions de financement de la transformation numérique des entreprises avec Florence Bouis, dirigeante de l’entreprise Cotep (affichages dynamiques) ; Bertrand Colas, directeur des marchés des entreprises & des professionnels de La Banque Postale ; Thomas Galloro, président du directoire d’IDF Capital, membre de l’AFIC et Fabrice Pesin, Médiateur national du crédit et président de l’Observatoire du financement des entreprises.

« Se transformer ou disparaître ! » Telle est l’injonction qui s’impose désormais aux dirigeants de PME, pressés d’engager au plus vite la « transformation digitale » de leur entreprise, s’ils veulent survivre dans un monde hyperconnecté. On ne compte plus les colloques, ateliers et rapports sur le sujet…

500 000 euros de transformation digitale… essentiellement investis en ressources humaines

Dirigeante de la société Cotep, une PME qu’elle a rachetée il y a cinq ans et demi avec son mari, Florence Bouis a fait le récit de la mue technologique de son entreprise pour acquérir de nouvelles compétences en matière de digitalisation,  d’algorithmes et d’Internet des objets (« IoT » en anglais).

L’entreprise spécialisée dans les écrans d’affichage s’est en fait engagée dans cette mutation à la demande de l’un de ses principaux clients, la SNCF, qui avait besoin d’écrans « intelligents » pour équiper ses nombreuses gares. Concrètement, cela consistait pour Cotep à réaliser l’intégration de boîtiers de capteurs sur les afficheurs existants afin d’enrichir leurs capacités et leurs usages, ainsi que la refonte du logiciel embarqué et la création d’une plate-forme digitale recueillant les données (« ELIoT »).

Une opération à haut coût pour une PME de 35 personnes, puisque c’est près de 500 000 euros qui ont été investis essentiellement en « ressources humaines » : il a fallu recruter des développeurs, créer les logiciels, mettre en place une plate-forme numérique …

La dirigeante, par l’intermédiaire de sa banque, le CIC, a pu mobiliser des concours publics (Bpifrance) et des aides régionales (son usine étant installée à Douvrin près de Lens). Mais une grande partie de cet investissement a été autofinancé…

Rétrospectivement, Florence Bouis s’interroge : n’aurait-elle pas eu intérêt à ouvrir son capital  à des investisseurs pour financer un chantier « immatériel » d’une telle ampleur ?

La dirigeante ne regrette pas pour autant ce gros effort financier. Le fait d’acquérir et de développer une expertise pointue dans son secteur permet désormais à l’entreprise de participer à des gros appels d’offre et aussi de se tourner vers des marchés à l’exportation.

En outre, le développement de ces technologies numériques, même si elles ne sont pas brevetées, est de nature à accroître la valeur de la société Cotep.

Pour une PME, il est plus difficile de financer des dépenses immatérielles…

Fabrice Pesin qui a piloté un rapport* sur le sujet dans le cadre de l’Observatoire du financement des entreprises, souligne que les PME françaises sont plutôt en retard par rapport à leurs homologues européennes. Or, prévient-il, il y a « beaucoup de risques aujourd’hui à différer cette transformation :  une entreprise peut rapidement être « sortie » de son marché par son fournisseur ou lors d’un appel d’offres », si elle ne s’est pas mise à niveau. Attention, cette « transformation digitale » ne se résume pas à la « dématérialisation » des documents ! Elle intègre un ensemble de techniques numériques (réseaux sociaux, gestion des méga-données, algorithmes, intelligence artificielle, Internet des objets…) qui obligent l’entreprise à repenser son modèle économique et même à « changer de culture ».

Florence Bouis reconnaît que le processus engagé lui a permis de « redonner un esprit start-up » à sa PME, aidée en cela par sa fille qui est parfaitement à l’aise avec ces nouvelles technologies. Cotep a notamment recruté sept nouveaux collaborateurs spécialistes du numérique. Et s’est séparée de certains collaborateurs dont le profil ne correspondait plus au nouveau positionnement de l’entreprise.

S’il s’impose à toutes les entreprises, quel que soit leur métier, leur taille ou leur secteur, ce processus de transformation n’est pas toujours facile à financer. L’autofinancement est souvent privilégié par le chef d’entreprise, qui pressé par l’urgence, « s’auto-censure » et ne sollicite pas son banquier anticipant un refus…

Pour Fabrice Pesin, les entreprises peuvent avoir du mal à évaluer, a priori, les coûts de cette transformation et a démontrer la rentabilité du projet. C’est aussi un problème pour les banques qui sont plutôt réticentes à financer des dépenses immatérielles, en raison de « la difficulté à bien en mesurer le risque et du fait de l’absence de garanties tangibles. »

Et la sous-capitalisation de nos PME n’arrange pas cette équation.

Le crownfunding comme solution ?

Par ailleurs, les règles comptables classiques conduisent à passer en dépenses d’exploitation ce qui ressemblerait plutôt à un investissement, destiné à rendre l’entreprise plus performante et donc à accroître sa valeur d’actifs…

C’est pourquoi, le rapport de l’Observatoire préconise-t-il des campagnes d’information afin que la possibilité « d’activer et immobiliser certaines dépenses immatérielles soit (davantage) utilisée par les experts-comptables et mieux reconnue par les financeurs ».

De son côté, Bertrand Colas de la Banque postale s’est voulu rassurant en arguant que les banquiers étaient eux-mêmes directement concernés par le processus de transformation numérique. Et qu’ils étaient à l’écoute des besoins de leurs clients professionnels. Un réseau comme la Banque postale, très présent sur l’ensemble du territoire, est en mesure de proposer toute une « panoplie » de solutions de financements pour accompagner cette transformation : crédits court terme, découverts, cofinancements avec Bpifrance, financements dédiés de la BEI/FEI, mobilisation et préfinancement du CII (crédit d’impôt innovation)… Pour Bertrand Colas, les dirigeants d’entreprises ne doivent pas non plus hésiter à se tourner vers le crowdfunding. La Banque postale a d’ailleurs pris le contrôle de la plateforme KissKissBankBank et est l’un des actionnaires de WeShareBonds.

Quoi qu’il en soit, avant d’accorder un prêt, les banques chercheront à s’assurer de la capacité de l’entreprise à le rembourser. Cela signifie que seules des PME présentant de solides bilans et des garanties financières suffisantes seront en mesure de convaincre les bailleurs de fonds.

Le capital-investissement comme alternative

L’entreprise à fort potentiel de développement a aussi l’option de se tourner vers le capital-investissement ou « private equity ». En échange de leur entrée (généralement minoritaire) au capital de l’entreprise, ces investisseurs professionnels apportent des fonds propres (en « haut de bilan ») permettant de réaliser des investissements plus risqués, notamment « immatériels » : innovation, développement commercial ou export… « Nous intervenons pour financer ce qui n’est pas finançable par la dette », a confirmé Thomas Galloro, président d’IDF Capital, un fonds d’investissement qui accompagne le développement et la reprise de PME et ETI implantées en région Ile de France. Ce type d’investisseur n’apporte pas que des capitaux à l’entreprise, mais aussi des conseils, des mises en relation, parfois un administrateur, synonyme de regard neuf sur la stratégie suivie : « notre métier est d’apporter de la valeur ajoutée à l’entreprise ».

L’entrée au capital d’investisseurs joue aussi un effet de levier auprès des banques qui seront plus enclines à accorder des prêts à la PME : « Lorsqu’il y a plusieurs partenaires qui partagent le risque, cela facilite les choses », reconnaissent les intervenants.

Mais nombre de dirigeants d’entreprise hésitent encore à ouvrir leur capital à des investisseurs extérieurs.  Sans oublier que ceux-ci restent en moyenne cinq à sept ans investis dans l’entreprise et que leur principal objectif est de réaliser une plus-value lors de la revente de leurs participation. En contrepartie, ces investisseurs sont directement intéressés à ce que l’entreprise dont ils sont les partenaires prospère et se valorise.

Quelle que soit l’option choisie, endettement ou ouverture du capital, l’entrepreneur devra être capable de défendre devant les financiers un projet solide, générateur de développement et de rentabilité.

J.G.

 

* Rapport de l’Observatoire : « Financement des entreprises et nouveaux défis de la transformation numérique » Octobre 2017. Télécharger le rapport sur : https://www.economie.gouv.fr/mediateurcredit/financement-entreprises-nouveaux-defis-transformation-numerique