Web-conférence : la responsabilité civile et pénale du chef d’entreprise face au risque de contamination de ses salariés
L’Ajpme a organisé le 2 juin 2020 une visioconférence sur un thème sensible d’actualité : “La responsabilité du chef d’entreprise face au risque sanitaire” : cadre légal et réglementaire, jurisprudence, précautions et bonnes pratiques.
Cette Web-conférence réunissait Maître Antoine Montant, avocat au Barreau de Lyon, directeur du département Conseil en droit social du cabinet Fiducial-Sofiral, membre de l’Institut de la protection sociale, Maître Karine Ries, avocate au Barreau des Hauts-de-Seine, cabinet Fiducial-Sofiral, et Eric Chevée, Vice-président national de la CPME, responsable des Affaires sociales.
Bien que la situation sanitaire s’améliore avec le reflux de l’épidémie de Covid-19, la question de la responsabilité civile et pénale du chef d’entreprise face au risque de contamination de ses salariés reste posée…En effet, selon une enquête de La CPME réalisée du 14 au 26 mai auprès de 3000 chefs d’entreprise, 46 % des dirigeants interrogés craignent de voir leur responsabilité mise en cause en cas de contamination d’un de leurs employés, un score qui monte à 55 % dans les PME de plus de 10 salariés !
Le Document unique d’évaluation des risques, « DUER »
Maître Antoine Montant a rappelé que « la protection de la santé des salariés est un axe fondamental de la législation sociale » et qu’elle fait partie des obligations de l’employeur. Maître Karine Ries a présenté les différents dispositifs existants, comme le DUER (Document unique d’évaluation des risques), obligatoire dans toutes les entreprises, y compris dans les TPE, dès le 1er salarié. Institué en 2001, ce document doit indiquer les actions mises en œuvre pour minorer le risque sanitaire et être mis à jour tous les ans. « Avec le Coronavirus, il prend toute son importance, car il doit être actualisé en intégrant les mesures prises dans l’entreprise pour lutter contre la pandémie : équipements de protection individuelle, sens de circulation, etc.», indique l’avocate.
Quel est le risque encouru par les chefs d’entreprise ? C’est principalement l’infraction liée à la mise en danger de la vie d’autrui, en cas de négligence ou de « faute inexcusable ». Deuxième infraction possible : l’atteinte involontaire à la santé des salariés, et troisième infraction : le non-respect des règles de sécurité. En cas de condamnation, les amendes peuvent s’élever de 10 000 à 45 000 euros. Cependant, pour Maître Karine Ries, « il ne faut pas minorer le risque pénal, mais il ne faut non plus lui donner l’ampleur qu’il n’a pas… Les chefs d’entreprise risquent peut être davantage le contentieux en matière civile », estime-t-elle, car cette procédure entraîne des réparations financières au bénéfice des plaignants
« Jurisprudence Covid-19 »
Pour Maître Montant, « l’inquiétude sera peut être plus forte dans une petite structure que dans un grand groupe » (où la chaîne de responsabilités peut être diluée). Pour l’avocat, la responsabilité civile du chef d’entreprise peut être engagée lorsqu’un salarié a contracté le coronavirus sur son lieu de travail et qu’il est déclaré inapte, voire que la maladie entraîne d’éventuelles séquelles. En cas de décès, les ayants-droits peuvent mettre en cause la responsabilité de l’employeur, et la « faute inexcusable » sera recherchée.
Les juristes estiment qu’il faut s’attendre à une « jurisprudence Covid » sur ce sujet…
Entrepreneur dans le secteur de l’ameublement, Éric Chevée s’inquiète de « l’insécurité juridique » qui pèse dans le contexte actuel sur les chefs d’entreprises. « La CPME est en pointe sur ce sujet, souligne-t-il. Juste avant le Covid, nous devions rouvrir les négociations paritaires avec les partenaires sociaux en matière de santé au travail… Ces négociations doivent reprendre mi-juin. En France, à la différence d’autres pays européens, on met trop l’accent sur la réparation des risques sanitaires plutôt que sur leur prévention ; un rééquilibrage s’impose», indique-t-il, en citant le « travail remarquable de l’OPPBTP », l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics. La position de la CPME : protéger le salarié, l’entreprise et l’entrepreneur…
Confrontées aux injonctions contradictoires des pouvoirs publics au début de l’épidémie, les entreprises étaient dans un certain flou juridique, quant aux modalités de reprise de l’activité. Désormais, un « compromis » a été trouvé avec la loi du 11 mai prorogeant l’état d’Urgence : la responsabilité pénale de l’employeur s’appréciera donc, selon ce texte, en tenant compte « des compétences, du pouvoir et des moyens » dont il disposait….mais aussi de la « nature de sa mission ou de ses fonctions ».
Appliquer le protocole de déconfinement
En pratique, c’est à l’employeur de mettre en œuvre tous les moyens possibles pour préserver la santé de chacun (salariés, clients…). En cas de litige, le juge regardera les circonstances, la bonne foi de l’employeur, et les mesures de précaution mises en place (gestes barrières, protocole de déconfinement…)
Dans ce contexte, la CPME incite donc les entreprises à appliquer les protocoles de déconfinement élaborés par le ministère du Travail en liaison avec les fédérations professionnelles, selon la branche d’activité.
Découvrez les articles qui se réfèrent aux interventions de cette table ronde
Salarié.e contaminé.e en entreprise : à qui la faute ? par Geoffrey Wetzel, EcoRéseau Business, le 4 juin 2020
Covid-19 : les patrons de PME doivent-ils redouter le risque pénal ? par Anne Daubrée, dans La Gazette Oise, le 16 juin 2020