A la découverte des PME des districts italiens à Biella et Turin

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Les journalistes de l’Ajpme à Biella © Ajpme

Les 20 et 21 juin 2019. Le voyage annuel de l’association a mené les journalistes de l’Ajpme dans le Piémont en Italie, à Biella (district du textile) et à Turin (ville du chocolat notamment), à la rencontre des particularités des PME industrielles italiennes, organisées en districts.

Ces deux journées ont été possibles grâce à la traduction simultanée assurée par Marie Daubrée, traductrice professionnelle qui nous a accompagnés à titre gracieux dans nos visites.

Qu’est-ce qu’un district en Italie ?

Les districts italiens sont des écosystèmes économiques constitués essentiellement de PME, sur un territoire très défini, qui finissent par se constituer en filière, avec un donneur d’ordre et des sous-traitants qui travaillent en étroite relation. A l’origine, certains districts sont le fruit de la condensation d’un « noyau artisano-industriel » enraciné dans l’histoire. D’autres sont nés de la désintégration d’une ou de plusieurs grandes entreprises, dans les années 1970.

L’Italie compte actuellement 156 districts. Il en existe dans tous les secteurs (mécanique, bijouterie, biens d’équipement pour la maison, tissus, produits alimentaires, cuir et chaussures…), essentiellement présents dans le Nord et le centre de l’Italie. En 2017, sur l’excédent commercial italien (90 milliards de dollars), 79 proviennent des districts, d’après Banca Intesa SanPaolo. De manière plus générale, ils représentent des îlots de dynamisme, par rapport à l’ensemble de l’économie. Entre 2017 et 2018, leur taux de croissance a été de 5 points supérieur à celui des zones non districtuelles. Aujourd’hui, ils peinent à recruter, mais certains ont perçu leur potentiel : les capitaux étrangers sont de plus en plus nombreux, et notamment des français…S’ils savent exporter, les districts demeurent profondément inscrits dans leur territoire.

Rencontre d’entrepreneurs du district de Biella

Pour découvrir le district de Biella, les journalistes de l’Ajpme se sont rendus le jeudi 20 au matin au siège del’Union Industrielle de Biella (UIB), à la rencontre d’entrepreneurs de cette province.

Carlo Piacenza, actuel président de l’UIB et dirigeant de l’entreprise historique de laine Fratelli Piacenza SpA, nous a présenté le district de Biella.

Le siège de l’Union Industrielle de Biella © Ajpme

Son histoire remonte à plus de 200 ans, car il y a une longue tradition du textile sur ce territoire.

La province de Biella bénéficie de toutes les conditions favorables pour les activités du textile : de nombreux cours d’eau permettent de laver la laine des moutons mais aussi de faire tourner les machines. Si le district souffre de la concurrence de la Chine et des Etats-Unis, et a beaucoup pâti de la crise de 2008-2009, il renaît actuellement, grâce à son positionnement sur le haut de gamme de grande qualité (laine en particulier) et sa capacité à exporter, caractéristique des districts. Aujourd’hui, le district de Biella compte 231 entreprises pour un chiffre d’affaires (2016) de 3 milliards d’euros. 

Les entreprises du textile travaillent souvent en relation les unes avec les autres, en filière. Le processus de production, entièrement Made in Italy, à l’exception de l’importation de la matière première (laine), est très fragmenté à Biella, avec des PME spécialisées dans le tissage, filage, reprisage, traitement des tissus, contrôle de leur qualité, mais aussi la production de machines dédiées.

Les membres de l’Ajpme rencontrent des entrepreneurs de l’UIB © Ajpme

Plusieurs entrepreneurs de l’UIB nous ont présenté leurs activités en insistant sur les particularités du lieu, dans lequel « l’eau est le bien le plus précieux ». Nous avons notamment rencontré Antonio Cerruti (Lanificio F. lli Cerruti Spa), Albertino Platini (Quality Biella di A. Platini & C. Snc), spécialiste du contrôle de la qualité des tissus, Francesco Ferraris (Finissaggio e Tintoria Ferraris SpA) et d’autres. La plupart sont dans le textile mais la province diversifie ses activités (bières artisanales, biscuits…).

Formation et recherche

Carlo Piazenca a insisté sur l’importance de la formation, alors que Biella aura 1500 postes à pourvoir dans les 3 prochaines années suite aux départs en retraite notamment, mais peine à trouver des jeunes prêts à venir travailler dans le textile dont ils ont une image d’activité sinistrée qui a parfois mis leurs parents au chômage.

Nous avons ensuite visité le pôle universitaire Città Studi, très vaste centre de formation et de services qui propose divers types de formations pour différents publics dans le domaine du textile notamment. La région se caractérise aussi par sa force d’innovation, notamment dans les recherches les plus pointues en matière de textiles, et l’innovation est fortement présente à Città Studi. 

Au pôle universitaire Città Studi © Ajpme

Usine Fratelli Piacenza SpA

Nous avons ensuite visité l’entreprise historique Fratelli Piacenza SpA, guidés dans son usine par Carlo Piacenza en personne, qui représente la 14e génération de dirigeants familiaux.

Piacenza, créée en 1623, tisse des tissus de laine d’excellence pour de grandes marques françaises et italiennes (mais aussi pour sa propre marque) à partir de lots de laine de très grande qualité (vigogne, alpaga, mohair, angora…) importée de par le monde. Ses tissus sont vendus en exclusivité mondiale à de grandes marques. La France est son premier client (Vuitton, Dior, Chanel…).

L’usine Piacenza (Photo DR)

Son usine compte 45 machines à tisser, ainsi que d’autres machines permettant de suivre toute la chaîne de production de tissus. Piacenza peut recourir si besoin à 50 machines de sous-traitants du district qui font du tissage pour compte de tiers. L’entreprise utilise aussi les services de PME spécialisées dans le reprisage des défauts de tissage que ses ouvrières spécialisées détectent sur une machine dédiée. L’usine détient des machines très sophistiquées, parfois fabriquées ou personnalisées pour elle. Une machine à tisser peut coûter un million d’euros. Mais elle recourt aussi à des techniques très traditionnelles, comme l’utilisation de fleurs de chardon séchées pour traiter le poil de la laine (photo).

Chardons dans l’usine Piacenza © Ajpme

Banka Intesa SanPaolo à Turin

Les banques sont parties prenantes de l’écosystème des districts. Vendredi 21 au matin, nous avons rencontré des économistes de la banque Intesa SanPaolo, dans la tour de la banque à Turin. Après avoir présenté le poids des districts dans l’économie italienne, ils ont évoqué un programme spécifique, « Sviluppo Filiere », destiné à soutenir les PME appartenant à une filière de production qui, du fait de leur petite taille, pourrait avoir des difficultés d’accès au crédit. La tête de filière donne à la banque la liste de ses fournisseurs stratégiques et le programme les aide à qualifier leur valeur immatérielle (brevets, certificats de qualité, environnementale) et à se structurer. En 2017, Intesa SanPaolo a créé un modèle d’évaluation du rating des PME sous-traitantes, validé par la BCE : si le fournisseur appartient à une filière, il va bénéficier indirectement du rating très élevé de l’entreprise responsable de la filière. Ces PME peuvent également bénéficier d’une offre de reverse factoring, de remises sur des produits à court terme…

L’usine de chocolat Guido Gobino

Nous avons ensuite visité, dans Turin, l’entreprise de chocolat Guido Gobino, actuel dirigeant de l’entreprise fondée par son père Giuseppe en 1964. Maria Manzanedo, business developper manager, nous a présenté l’entreprise lors d’une séance de dégustation. Au départ, le fondateur s’est spécialisé dans le « gianduiotto », le chocolat typique turinois, produit avec du gianduja, pâte qui mêle chocolat et noisettes du Piémont. Les chocolats d’excellence de Guido Gobino sont faits d’ingrédients choisis avec un soin extrême et allient respect de la tradition et innovation dans les recettes. Il a créé des chocolats dans lesquels l’huile d’olive ou le sel relèvent la saveur traditionnelle par exemple. Depuis 3 ans, il fabrique également des glaces en été.


Les membres de l’Ajpme ont pu bénéficier d’une visite guidée de l’usine sur place

L’entreprise Guido Gobino est très encrée sur son territoire. Il utilise les noisettes des Langhe, qui représentent le cœur de l’entreprise avec le cacao, nécessairement importé, du Mexique notamment. Aujourd’hui, l’entreprise d’une soixantaine de salariés a un chiffre d’affaires de 7 millions d’euros environ. Elle a ouvert plusieurs points de vente dans les années 2000 et en compte désormais 6, 4 à Turin et 2 à Milan. Guido Gobino exporte à travers des distributeurs à l’étranger, au Japon, avec un importateur exclusif, en Europe en distribution et avec quelques clients directs, et aux Etats-Unis. Il projette d’être présent au prochain salon du chocolat à Paris.

Turin, ville-Fiat mais aussi ville du chocolat

La réalité de l’importance de Fiat à Turin en a longtemps dissimulé une autre. En Italie, Turin est aussi la ville du chocolat. A l’origine de cette activité, la proximité de la région des Langhe, où sont cultivées des noisettes très renommées. En 1858, Michele Porchet, un chocolatier, invente le « Gianduiotto », fait de chocolat, des précieuses noisettes, de sucre et de vanille. (Au carnaval, le masque turinois s’appelle Gianduja).  Ce petit chocolat, emballé, deviendra la spécialité de la ville, autour de laquelle va se développer un artisanat du chocolat et une activité économique.  Au XIXe siècle, sont nées de grandes entreprises comme Caffarel et Ferrero. A la même période, de très grandes entreprises de café, dont Costadoro et Lavazza, se sont aussi implantées dans la ville. De magnifiques cafés, où se déroulait une vie mondaine, littéraire et politique, ont vu le jour. Cette année, Peyrano et Pernigotti, deux entreprises centenaires, ont fait faillite. Mais le secteur est dynamique et se renouvelle, notamment avec une nouvelle génération d’artisans chocolatiers qui tirent parti de la tradition mais innovent comme Guido Gobino, Guido Castagna et Ziccat. D’après la chambre de commerce de Turin, en 2014, on comptait 110 entreprises de production de cacao, chocolat et bonbons, et 60 de café. La même année, ces entreprises faisaient 1,3 milliard d’euros à l’export (+ 6,5% par rapport à l’année précédente). La France est la première importatrice.

Anne Daubrée et Laure Bergala