Partagez cet article

TPE et PME face aux défis de la transition et de la sobriété énergétiques

Les intervenants ont évoqué les défis des petites entreprises pour aborder leur transition énergétique (Photo Ajpme)

Le 22 novembre 2022, l’Ajpme a organisé une table ronde sur les défis de la transition et de la sobriété énergétiques pour les TPE-PME. Des dirigeants ont témoigné de la situation de leur entreprise face à la crise et de la complexité de leur transition. Franck Augustin, PDG de Transports Routiers d’Alsace, Christophe Bertrand, maitre chocolatier patron de La Reine Astrid et Stéphane Rivoal, mâitre verrier, ont participé à cette table ronde animée par Samorya Wilson, journaliste, avec également Noam Leandri, secrétaire général de l’Ademe et Pierre-Olivier Viac, coordinateur régional développement durable de CCI Paris Ile-de-France.

La crise des prix de l’énergie pousse TPE et PME à chercher des solutions pour baisser leurs factures d’électricité ou de gaz. Plusieurs chefs d’entreprise ont décrit très concrètement les conséquences de cette crise sur leur activité et sur leur cheminement vers la transition et la sobriété  énergétiques lors de la table ronde dédié à ces sujets.  

Produire moins 

Stéphane Rivoal, artisan verrier depuis une trentaine d’années, se sent très concerné par la hausse des prix de l’énergie : ses fours doivent chauffer jusqu’à 1450°C ! Début mai, il a vu sa facture de gaz doubler du jour au lendemain. « Je prends la crise avec calme et sang-froid. Il ne faut pas jouer les effarouchées, je sais que la courbe des prix de l’énergie ne fléchira plus jamais. Avec le Covid, j’ai déjà effondré une partie de mon activité. Je suis désormais entré dans ce choix qui consiste à produire de moins en moins », explique-t-il. Il précise ne pas être éligible aux aides publiques, notamment parce qu’il faut être doté d’un expert-comptable. 

L’artisan va devoir augmenter ses prix de 15 %. Sa clientèle se situe de plus en plus dans le haut de la pyramide. « Mais il faut essayer de contrôler les coûts et les objets pour garder une accessibilité au grand public », estime-t-il. Il pense déménager en Bretagne, produire moins (il abandonne certains secteurs comme le luxe et renonce par exemple à fabriquer des boules de Noël) et travailler en circuit court. 

Stéphane Rivoal ne peut agir sur tous les leviers pour favoriser la transition de son activité : ses fours fabriqués sur mesure fonctionnent au gaz et il ne va pas investir dans de nouveaux fours. Sa matière première, le verre, doit être importée. « En France il y a de moins en moins d’industrie et donc de matière première », résume-t-il. 

Améliorer sa consommation d’énergie

Christophe Bertrand est artisan chocolatier, patron de La Reine Astrid, société de 30 salariés. Lui utilise des fours à 180°C et des congélateurs, pour conserver le chocolat qu’il produit entre mai et juillet pour le vendre en décembre, comme tous le font dans sa profession. Le chocolatier a dû faire face à un rattrapage de 9000 euros en août puis de 6000 euros en septembre sur sa facture d’électricité. Il dit ne pas être éligible aux aides. 

Christophe Bertrand réalise toute la chaine de production, de la fève de cacao au produit fini. Chez lui aussi, les réflexions pour effectuer la transition ne datent pas de la crise actuelle. « On réfléchit à consommer moins, peut être en conservant les chocolats à zéro et plus à moins 20 degrés, en coupant les frigos quand ils sont vides,  en économisant des heures de consommation… », détaille-t-il. 

Il y a quelques années, la CCI l’avait sollicité pour réaliser un diagnostic carbone de son activité mais la démarche a été abandonnée du fait de la complexité du calcul du transport du cacao. Il est contraint d’importer cette matière, or l’indice carbone du transport du cacao est faible mais la manière dont il est cultivé a un fort impact. Le sien est équitable et produit dans une coopérative au Cameroun, son sucre n’est pas bio mais local, produit à 45 minutes de son labo, et sa crème fleurette provient de la dernière laiterie d’Ile-de-France.

Pour améliorer sa consommation d’énergie, le plus gros effort serait l’isolement du laboratoire où il produit ses chocolats, mais il n’en est pas propriétaire. Face à la crise, il envisage, si la situation perdure, d’arrêter la pâtisserie pour se consacrer uniquement au chocolat. 

Rouler en véhicules propres ?

Franck Augustin est patron de Transports Routiers Alsace, une entreprise de 60 salariés que dirigeaient avant lui son grand père et son père. « Nous sentons l’impact sur le gasoil depuis février. Avant, la cuve de 36 000 litres était à 40 000 euros et maintenant elle est à 70 000 euros, cela nous coûte 30 000 euros de plus par semaine. Or cela n’est pas justifié par le cours du Brent. L’activité est très spéculative, la hausse vient de la guerre en Ukraine mais aussi d’un cartel de traders en Suisse qui agit au niveau du gasoil et joue avec la vie de nos entreprises », analyse-t-il. Alors que la masse salariale a toujours été le premier poste de l’entreprise, c’est désormais le gasoil. Son entreprise a touché en avril une aide de l’Etat. 

La transition est difficile à réaliser dans son secteur : « Il y a une injonction à baisser les émissions, et nous voulons rouler en véhicules propres, mais il n’y en a pas assez. Et il n’y a pas d’infrastructures suffisantes pour les recharger », déplore Franck Augustin. « Le bilan carbone dans le monde de la Supply Chain c’est une fumisterie, car les datas ne sont pas possibles à agrégées », ajoute-t-il. Il estime qu’aujourd’hui le diesel est la solution la plus efficiente pour transporter la charge la plus lourde le plus loin possible, le gaz allant moins loin et consommant beaucoup plus pour la même charge. L’entreprise augmentera toutefois ses prix de 8 à 9 % l’année prochaine. 

Accompagner les TPE dans leur transition

« Nous avons un réseau de conseillers qui accompagnent les TPE dans leur transition et nous essayons de les orienter vers le bon guichet. Aujourd’hui, 80 % des demandes sont liées aux coûts de l’énergie », a déclaré Pierre-Olivier Viac, coordinateur régional pour la transition énergétique et écologique à la CCI Paris Ile-de-France. « Les aides ont beaucoup bougé, il est difficile de s’y retrouver, et il y aura des changements pour 2023 », admet-il. 

La CCI analyse le contrat énergétique des TPE, les aide à réduire leur facture d’énergie face à la flambée des prix, et les accompagne pour réduire leur consommation sur le long terme. Une convention signée avec l’Ademe pour les PME franciliennes permet de prendre en charge une part des frais d’un accompagnement de 6 jours, mais les patrons de TPE ont du mal à allouer une ressource ou à dégager de leur temps pour en bénéficier. Il y a par ailleurs peu d’aide à l’investissement pour les équipements des PME, et les certificats d’économie d’énergie représentent au maximum 10 à 15 % de l’investissement. 

Diagnostic énergétique

« La meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Nous allons désormais consommer différemment et moins. Il y a une évolution qu’il faut anticiper », a affirmé Noam Leandri, secrétaire général de l’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie (Ademe), rappelant les slogans des années 1970 qui pourraient coller avec la crise actuelle. « La courbe des prix de l’énergie ne va pas fléchir à nouveau. Le signal prix encourage à baisser la consommation pour arriver à la neutralité carbone en 2050 », assure-il. L’Ademe promeut énergies renouvelables et décarbonation pour atteindre cet objectif national. Le budget de l’agence est en augmentation, passé de 500 millions d’euros il y a six ans à 2 milliards aujourd’hui et 4 l’année prochaine. Une somme à relativiser face aux 45 milliards d’euros du bouclier tarifaire…

Noam Leandri a décrit les aides aux PME comme celle au diagnostic énergétique, le bilan carbone finançable par l’agence (via Bpifrance)… « Le diagnostic permet de faire jusqu’à 50 000 euros d’économie avec des changements de comportement », assure-t-il. Un chauffeur pourrait ne plus faire chauffer son camion quinze minutes avant de démarrer, le chocolatier modifier la température de son congélateur… « Nous allons entrer dans des logiques de contraintes, et tout cela va obliger tout un chacun à changer », conclut le maître verrier Stéphane Rivoal. 

Laure Bergala