PME : l’augmentation des salaires en question
Le 14 février 2023, l’Ajpme s’est associée à l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) pour proposer une table ronde sur la rémunération dans les PME avec Mélanie Berger Tisserand, présidente du Centre des jeunes dirigeants (CJD) et dirigeante du cabinet d’expertise comptable EMS Audit, Nadine Levratto, économiste et directrice de recherche au CNRS, et Joël Pascal, élu CGT dans un CSE au sein d’un cabinet d’avocats. Sophie Massieu (Ajis) et Laure Bergala (Ajpme) ont animé les débats.
Peut-on augmenter les salaires dans les petites entreprises, dans le contexte d’inflation actuel ? Jöel Pascal, représentant CGT dans le CSE, a évoqué son expérience au sein du cabinet d’avocat où il travaille. Sa volonté d’organiser des réunions sur les salaires et sa demande d’augmentation collective ont été très mal reçues. Son cabinet a cherché à le licencier mais l’inspection du travail a refusé son licenciement. Le cabinet a par ailleurs octroyé une prime d’activité de 1500 euros par salarié et procédé à des augmentations individuelles de salaires, de l’ordre de 4,7% en moyenne.
Hausses des rémunérations
Pour Mélanie Berger Tisserand, dirigeante du cabinet d’expertise comptable EMS Audit qui compte 12 salariés, les politiques de rémunération ne doivent pas être motivées uniquement par l’inflation. Elle a augmenté les salaires récemment dans sa TPE et a distribué la prime de partage de la valeur (PPV) dite « prime Macron » instaurée en 2022 face à l’inflation, à hauteur de 2000 euros par salarié. « Un bel outil pour le dirigeant de TPE mais qui ne remplace pas une augmentation de salaire », selon elle.
L’économiste Nadine Levratto a indiqué que globalement, la rémunération du capital a cru en France et dans le monde du fait de plusieurs facteurs, parmi lesquels la mondialisation mais aussi l’individualisation des hausses de salaires, qui fait croitre les inégalités. Dans les PME les salaires sont en tendance plus faibles que dans les grandes entreprises, a-t-elle par ailleurs rappelé. L’économiste considère les primes comme « utiles à court terme pour le salarié mais dommageables à moyen et long termes puisqu’elles n’alimentent pas la protection sociale ». Elle leur préfère les hausses de salaires.
Salaires vs primes
L’idée selon laquelle augmenter collectivement les salaires entrainerait des risques pour la productivité de l’entreprise a été battue en brèche par les intervenants. Selon Nadine Levratto, cette hypothèse n’est étayée par aucune étude. Au contraire, la productivité est fonction directe du niveau de salaire, les métiers qui génèrent de la valeur ajoutée étant mieux payés. Pour Mélanie Berger Tisserand, le collectif est le moteur de la politique du dirigeant davantage que la méritocratie. Les augmentations de salariés sont synonymes de reconnaissance de leur travail pour les salariés, a assuré Joël Pascal qui a rappelé que les primes, comme la prime « Macron », ne sont pas prises en compte sur les bulletins de salaires et ne permettent pas au salarié d’accéder à un logement ou à un prêt bancaire contrairement à un meilleur salaire.
Participation pour tous ?
Les intervenants se sont exprimés sur le projet d’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur dans l’entreprise du 10 février, issu des échanges entre syndicats et patronat menés depuis novembre 2022. Il prévoit d’inciter à généraliser la participation dans les entreprises de plus de 10 salariés. « Les outils existent déjà, c’est une question de volonté du dirigeant », estime Mélanie Berger Tisserand. « La grosse problématique, c’est le partage de la valeur au niveau de l’ensemble de la société, en taxant les super profits que ses grandes entreprises ont généré conjoncturellement. Une partie doit être redistribuée dans l’ensemble de la chaine de valeurs jusqu’aux TPE et PME », selon la présidente du CDJ.
Pour Joël Pascal, le capital qui n’est pas productif ne sert à rien, il faut augmenter les salaires et baisser la part distribuée aux actionnaires. « La participation des salariés aux bénéfices de l’entreprise est une vielle idée gaullienne », a rappelé Nadine Levratto. « La question de savoir que faire du résultat net est intéressante. On peut le redistribuer sous forme de dividende ou le réinvestir dans l’entreprise. Tout ce qui relève de la participation consiste à inoculer dans le contrat de travail une dose d’actionnariat. La participation c’est ce qui reste une fois qu’on devrait avoir épuisé toutes les autres formes d’augmentation des rémunérations », selon l’économiste.
Laure Bergala